L’aventure de l’appel vient de loin. Aussi loin que nous remontions dans l’histoire des croyants, nous percevons cet appel mystérieux qui met en route, qui fait quitter et suivre. Depuis Abraham, Moïse et les prophètes. Depuis les apôtres et les premiers disciples…
Aujourd’hui cette aventure de l’appel prend le visage du jeune Élisée. Un appel puissant, et qui demande une réponse libre. Tu sais, Joris, où et quand a commencé pour toi l’aventure de l’appel. Au sein de ta famille ? Avec la place de ta grand-mère. Mais aussi auprès de bien d’autres.
Ces témoignages d’une vie habitée, accompagnée, entraînée, ont permis que, peu à peu, s’inscrive en toi le désir de suivre le Christ et de manifester dans ta vie une réponse. L’appel se joue dans la rencontre et la vérité de la relation qui s’y noue.
La Parole de ce jour nous invite à méditer sur l’étonnant de la rencontre. La liberté de l’appel et la liberté de la réponse. Appel puissant… qui ne vient pas entraver nos vies. Il résonne plutôt sur un horizon de liberté. « Vous frères, vous avez été appelés à la liberté » (Saint Paul aux Galates)
C’est cette rencontre qui entraîne, qui met en route à la suite de celui dont on devient disciple. Rencontre qui nous tourne à la fois vers Lui et vers les frères. « Mettez-vous par amour au service les uns des autres. »
Dans l’Évangile, Jésus s’adresse à ceux qui le suivent. « Restez en tenue de service. »
Soyez comme des gens qui attendent leur maître. Et cette invitation est accompagnée d’une béatitude : « Heureux ces serviteurs que le maître trouvera en train de veiller. »
Voilà une double invitation à la fidélité et à la veille. Fidélité dans le service, et les disciples appelés à la tâche particulière de responsables de communautés sont particulièrement invités à être fidèles. Fidélité qui demande de se tenir constamment en attitude de veille.
Mais que peut signifier pour nous aujourd’hui être veilleurs ? Veiller à discerner l’attente qui habite note société et notre terre. Attente de paix. Attente de justice. Attente d’exister, de trouver sa place, attente de reconnaissance, de réconciliation. Attente de relation, de bonheur.
Nous ne pouvons être justement témoins de Celui qui vient si nous ne reconnaissons pas comment il rejoint profondément les attentes de vie des personnes, de notre société. Joris, ne manque pas de prendre le temps de chercher à percevoir cela. Personnellement et aussi avec d’autres.
Notre ministère et celui de l’Église ne sont pas tournés sur eux-mêmes. Ils sont au service de la vie et de l’attente profonde des personnes. Il nous faut toujours nous situer par rapport à elles.
Être Veilleurs, c’est également veiller à la vie des personnes, au bien des communautés. Celles-ci sont constituées de celles et de ceux qui se laissent rassembler par la Parole du Christ, par sa promesse, par les sacrements. Ces communautés sont à servir par l’annonce et l’accueil de la parole, la célébration des sacrements, l’accueil de la communion.
Tu sais déjà, mais tu découvriras chaque jour un peu plus que cela, c’est une préoccupation de tous les instants. Non pas que cela ne passerait que par nous, c’est bien l’Esprit du Seigneur qui œuvre, nous n’en sommes que les serviteurs, mais parce que le serviteur a toujours le souci que chacun soit rejoint et comblé à la mesure de ses besoins, de son attente.
Être veilleur, c’est veiller à ce qu’aucun de ces petits ne se perde.
« Veilleur, où en est la nuit ? » Is 21,11
Bien des aspects de la vie des hommes et de nos sociétés sont couleur de nuit, au risque d’inquiéter, de désespérer. Les veilleurs que nous sommes invités à être ont cette tâche de repérer les germes de ce qui vient, les germes de la nouveauté que le Seigneur nous apporte et nous offre.
Le Seigneur nous le dit. Lorsqu’il envoie ses disciples, il les envoie à la moisson. Et il leur dit que cette moisson est abondante, qu’il y a beaucoup à recueillir et récolter dans la vie du monde et que cela suffit à nous nourrir.
Il nous invite également à prendre soin des brebis du troupeau, marcher avec, les accompagner, comme le Pasteur, qui connaît ses brebis, et que ses brebis connaissent, comme le pasteur qui sait qu’il a aussi d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos, et que celles-là aussi il lui faut les mener. (Jn 10,16)
Car la promesse qui est pour tous est promesse « pour que les hommes aient la vie ».
Pour vivre cela, Joris ; tu deviens prêtre. Relié plus intimement au Christ, tu reçois ce don et cette charge de servir le peuple de Dieu, le relier au Christ, le tourner vers ses frères.
Cela, au cœur d’un temps où la société est secouée et l’Église également.
La mission que tu reçois est importante. Elle dépasse ce que l’on peut attendre d’une personne. Tu le mesureras bien souvent. Cette mission ne vient pas de toi, tu n’en es pas la source. Elle vient d’un autre. C’est du Christ que tu la reçois, c’est vers Lui que tu dois orienter.
Dans ta responsabilité, attache-toi toujours à inviter les personnes à se recevoir d’une parole qui n’est pas la nôtre. C’est la parole du Christ qui fera l’unité. Sois toujours attentif à ne pas centrer sur toi tout ce qui se joue dans la relation entre le Christ et ses frères.
J’ajoute enfin que cette mission, tu ne la vis pas seul. Ordonné, tu rejoins un presbyterium, ce corps de prêtres autour de l’évêque. Corps lui-même composé de divers membres, où chacun doit avoir sa place. Ainsi, ce n’est pas une personne qui témoigne, c’est un corps. Et il nous faut sans cesse nous interroger sur la justesse aujourd’hui de ce service et de ce témoignage.
Et ce témoignage s’enracine dans le lien au Christ (Jn 15,35) : « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. »
Cette vie fraternelle est précieuse pour nous et pour quiconque. Le terreau fraternel produit au centuple. Que le Seigneur nous aide à grandir dans cette fraternité.
Cette mission, tu la vis déjà et tu auras à la partager avec beaucoup : baptisés, confirmés qui s’attachent à déployer le don qu’ils ont reçu. Ce service de la mission avec d’autres diacres, religieux, consacrés, baptisés, nous n’avons pas fini d’en explorer tous les possibles.
Il nous appartient aujourd’hui d’en permettre le déploiement, et de découvrir étonnés que notre ministère de prêtre n’en est pas amoindri mais que, au contraire, il en reçoit une nouveauté et une vraie fécondité.
Voilà, Joris, dans le don que tu reçois et la liberté de ta réponse, l’horizon de la mission qui s’ouvre pour toi. Tout cela sur fond de promesse et de bonheur. « Heureux le serviteur que le maître à son arrivée trouvera en train de veiller. »
Puisses-tu être, et puissions-nous être avec toi, prêtres, religieux, laïcs, ces veilleurs de notre temps en attente du surgissement de l’aube.
+ François Fonlupt
Archevêque d’Avignon